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La Cinquième Crêpe: de son Origine jusqu’à Napoléon Bonaparte

Dr. Andrea Fesi

Les crêpes, cette odeur irrésistible qu’elles émanent, ce goût unique créé avec des ingrédients simples. On pourrait même dire: autant de recettes, autant d’avis sur la préparation parfaite. Aujourd’hui, en France comme dans le monde entier, ce mélange de farine (de blé ou de sarrasin), d’oeufs, d’eau ou de lait, de sucre ou de sel (selon les recettes) et de beurre envoûte les grands comme les petits et, un peu comme la madeleine de Proust, rappelle des moments heureux, liés à l’enfance, à la gourmandise pure et simple. Habituellement on pense que les crêpes ( ou les galettes) sont un des emblèmes culinaires de la France à l’étranger, une création purement bretonne. En réalité l’histoire de ce met est bien plus ancienne et trouve ses racines dans l’univers alimentaire de l’homme dès la pré-histoire mais c’est en Egypte puis à l’époque gréco-romaine que la crêpe trouve sa renommée dans la tradition religieuse, tout en gardant également une place sacralisée dans les traditions culinaires au Moyen-âge chez les chrétiens, mais aussi dans le domaine de la magie et de la superstition.


Femme préparant des galettes (Date inconnue). Naples, Musée de Capodimonte.


Chaque 2 février en France des galettes ou des crêpes sont préparées lors de la Chandeleur, une fête chrétienne qui tire ses origines de traditions païennes, plus précisément de rites de fertilité que les Romains pratiquaient à la fin de l’hiver, quand les agriculteurs préparaien leurs terres pour les semis à venir. Les rites païens, abolis au Vème siècle de notre ère, furent remplacés par des cérémonies célébrées dans les églises chrétiennes à la lueur des chandelles et censées commémorer des événements du calendrier religieux que la plupart des Français seraient aujourd’hui bien en peine d’expliquer. En effet, si la France est une vieille natio catholique, seulement 10% de sa population est pratiquante.


Sarcophage en calcaire minoen, vers 1400 avant J.-C. (Musée archéologique d'Héraklion, Crète).

Cette peinture figure sur l'un des deux côtés longs du sarcophage. Elle représente une procession sacrificielle, par d'un rituel funéraire, avec une femme offrant un taureau saignant, un musicien jouant de la double flûte, et une au femme qui pourrait diriger les rites. Un panier de gâteaux sacrés est suspendu au-dessus de l'autel. D'autres animaux, peut-être destinés à de futurs sacrifices, sont visibles sous la table.


Poêle d'époque romaine manche repliable (IIIème siècle?). Musée d'Archéologie de Nice - site de Cimiez


La Chandeleur n’en reste pas moins un jour de fête populaire, sans doute parce qu’elle est également l’occasion pour déguster une délicieuse spécialité française: la crêpe. Depuis plusieurs siècles pendant lesquels la Chandeleur se fête avec ses petits ronds de pâte, différentes superstitions entourent l’action de les faire sauter en l’air. Ainsi, les paysans ont longtemps cru qu’une crêpe qui retombait dans la poêle sans se casser était le signe d’une belle récolte à venir. De nos jours, il semblerait que réussir à faire sauter une crêpe à une main en tenant une pièce de monnaie dans l’autre garantisse chance et succès pour toute l’année.


On dit de Napoléon Bonaparte qu’il était très superstitieux, comme tous les Corses d’ailleurs. L’empereur était par exemple persuadé que Joséphine, sa première femme, lui avait porté chance; il évitait de se battre ou de prendre des risques le vendredi ou le 13ème jour du mois; et il considérait le 14 juin et le 2 décembre comme des dates porte-bonheur puisqu’elles correspondaient respectivement à ses glorieuses victoires à Marengo et Austerlitz. Mais surtout, il croyait être guidé et protégé par une bonne étoile qui intervenait à chaque tournant de sa vie.

En 1811, date à laquelle l’alliance franco-russe avait pris une mauvaise tournure. À ce moment-là le tzar Alexandre Ier avait rompu sa promesse en se désengageant du blocus continental contre l’Angleterre, en mettant à dure épreuve l’économie russe. Napoléon mena donc sa grande armée en Pologne afin de rétablir le status-quo.

Mais Napoléon était, comme nous l’avons dit auparavant, très superstitieux. Nul doute qu’il fut quelque peu ébranlé par ce qui lui arriva lors de la Chandeleur précédent sa campagne de Russie! En effet, l’homme tenait à faire sauter les crêpes tout seul. Il annonça ainsi en faisant cuire la première : « Si je retourne celle-ci, je gagnerai la première bataille! ». La crêpe retomba sans se briser. Il en fit alors une deuxième et il répéta : « Si je la retourne, je gagnerai la deuxième bataille! ». Une fois de plus, la crêpe retomba intacte. Il en alla de même pour la troisième et la quatrième… mais la cinquième finit dans les cendres.

Malgré ce signe de mauvais augure, Napoléon lança sa campagne de Russie en juin 1812. Dans une Europe centrale écrasée par la chaleur estivale, la Grande armée s’est retrouvée de plus en plus démunie à cause de la technique de la « terre brulée » pratiquée par les Russes pour déstabiliser les troupes françaises: à la fin de la saison plus de 150.000 hommes avaient perdu la vie.

Au début du mois de septembre de la même année, les Russes finirent par arrêter de fuir et par attendre les Français aux abords de Moscou. Plus de 25.000 hommes périrent lors de la fameuse bataille de Borodino: un véritable carnage! Napoléon écrivit par la suite : « Des cinquante batailles que j’ai données, la plus affreuse est celle que j’ai livrée devant Moscou.

Même si les Russes battirent en retraite, les espoirs de Napoléon furent à nouveau anéantis. Lors de son entrée triomphale dans la ville, il s’aperçût que la population avait été évacuée et les magasins d’alimentations vidés. Il n’avait personne avec qui négocier un accord de paix, et son armée n’avait rien à se mettre sous la dent. Pour couronner le tout, un incendie se propagea dans la ville pendant la nuit. En voyant cela et son armée coupée de tout, sans provision ni abri, Napoléon aurait crié à ses aides de camp: « C’est la cinquième crêpe! ».


Napoléon Bonaparte en train de préparer des crêpes (image générée par l’IA)


Ce récit montre à quel point la crêpe fait partie de l’identité française, de manière ininterrompue, jusqu’à nos jours. Bien qu’il n’existe pas une étude officielle précisant le nombre exact de crêpes consommées pendant la Chandeleur en France, plusieurs études et sondages offrent des indications sur cette tradition culinaire. Selon la Dépêche, une étude Odoxa affirme qu’environ 90 % des Français célèbrent la Chandeleur en dégustant des crêpes. Selon le web magazine culinaire Frigo&co, la consommation moyenne est de 5 crêpes par personne lors de la Chandeleur, atteignant 7 crêpes chez les 18-25 ans. Selon Armelle Levy et Ryad Ouslimani pour Rtl économie, les ventes en 2019 de crêpes industrielles dans les grandes surfaces en France métropolitaine ont fait un bon en avant, en arrivant à atteindre un gain de plus de 55 millions d’euros entre crêpes sucrées natures ou garnies, sans oublier les galettes simples ou farcies à base de sarrasin.


Crêpe au Nutella (image provenante du site Pasta Grammar)


Tout cela montre que cette rondelle de pâte, salée ou sucrée, a encore de beaux jours devant elle et que son histoire n’arrêtera pas de s’enrichir avec le temps, en devenant encore au 20ème siècle un des symboles du métissage culturel dont la France est porteuse. En 1970, par exemple, la crêpe sucrée française a rencontré le Nutella, une autre spécialité d’un pays voisin, l’Italie. À partir de cette date, de nombreux amateurs de crêpes ont commencé à utiliser cette pâte à tartiner à la noisette comme garniture. Cette association est née de la simplicité et de la gourmandise des deux produits et par la présence, sur le sol français, de communautés italiennes bien enracinées. Rapidement la plupart des crêperies, en France comme ailleurs, ont adopté le Nutella, car il offrait une alternative moderne et pratique au chocolat fondu, en devenant un classique, particulièrement apprécié par les enfants et les jeunes tout en se transformant en symbole de convivialité dans les fêtes et les marchés non seulement en France mais partout en Europe.

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